Episode 25 : Edition, autoédition… ce qui compte c’est les livres

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«Je me suis régalée», m’a dit Florence en me renvoyant la transcription de l’entretien de cette semaine. Ce qui a largement confirmé mon appréciation personnelle.

Car cette semaine je reçois Laurent Bettoni, auteur publié à la fois en circuit traditionnel et autoédité, conseiller éditorial, anciennement directeur éditorial, actuellement éditeur free-lance. Et Laurent a un parcours à la fois dans l’Édition et hors de l’Édition qui lui a permis de construire une vision vraiment panoramique, et qu’il reste un auteur, attaché à la qualité de ce qui est le cœur de l’édition, le livre.

Vous reconnaissez peut -être Laurent derrière cette photo énigmatique :

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Mais il en a une autre où on le reconnait mieux :

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On parle pas mal de son parcours pendant l’entretien, donc je ne vais  pas trop m’attarder dessus. Vous pouvez le retrouver sur sa page auteur Amazon, et lire son dernier roman Mauvais garçon, en attendant le prochain sur lequel il travaille activement. Il a aussi un blog ici, une page Facebook ici, et même un compte Twitter.

Si vous vous intéressez ou recherchez une correction éditoriale, vous pouvez le retrouver sur son site d’accompagnement littéraire. Il a quelques titres de noblesse dans cette activité aussi…

Pour écouter directement cet épisode :

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Et… place à transcription de cet entretien


Cyril. – Bonjour ! Aujourd’hui, je reçois Laurent Bettoni, auteur autoédité, éditeur, directeur éditorial auparavant… Qui est une sorte de figure tutélaire de l’autoédition. Bonjour, Laurent !

Laurent. – Bonjour Cyril !

Cyril. – Est-ce que, pour briser la glace, pour les deux personnes et demie qui ne te connaissent pas, tu peux te présenter ?

Laurent. – Oui, oui ! Écoute, c’est très très flatteur : je ne suis pas sûr que ça reflète réellement ce qui se passe dans la vraie vie, mais… Alors, en deux mots, voilà : je suis auteur. Maintenant, je crois que j’en suis à une dizaine de textes publiés. Je suis en cours d’écriture pour mon prochain roman chez Hachette, chez Marabooks. Mon premier roman a été publié en 2005, chez Robert Laffont. Il s’appelle Ma place au paradis. Et je me suis également autopublié. J’ai également autopublié deux romans début 2012, en février 2012. Suite à leur succès, ils m’ont ramené, doucement, dans l’édition traditionnelle.

Donc aujourd’hui, finalement, je suis un auteur à la fois publié dans l’édition traditionnelle et en indépendant. Et je pousse la schizophrénie jusqu’au bout, c’est-à-dire que je suis également éditeur. Pendant deux ans, j’ai été directeur éditorial chez un éditeur tout à fait traditionnel. Aujourd’hui, à l’heure où je vous parle, je suis éditeur pour une maison d’édition du groupe Hachette, et je fais également des chroniques littéraires. Donc là, on peut dire que j’ai une vision vraiment d’ensemble du monde éditorial. Des mondes éditoriaux ! Le monde traditionnel et le monde indé.

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Cyril. – Oui, c’est ça qui est génial : c’est que c’est une vision à 360° et que tu saisis toutes les opportunités pour travailler dans l’édition au sens large.

Laurent. – Oui, parce que ce qui m’intéresse, c’est le livre, tu vois. C’est le contenu. Peu importe que ce soit via un éditeur traditionnel, via l’édition indé, via les plateformes de téléchargement… Ce qui m’intéresse le plus, moi, ce sont les auteurs et ce qu’ils ont à nous raconter : leurs livres. Donc quel que soit le support, je ne fais pas de distinction. C’est vraiment le contenu. C’est le fond qui compte le plus pour moi.

Cyril. – Oui. Donc déjà, ça révèle une première évolution, qui est qu’auparavant on avait une sorte de guéguerre entre l’édition numérique et l’édition papier et que cette guéguerre, elle est un petit peu (Pas complètement, non plus !) Elle est un petit peu en train de disparaître.

Laurent. – Complètement. Mais j’ai tout le temps trouvé ça fratricide, en fait. J’étais très gêné au début. Quand j’ai commencé à être connu dans le monde des indés, ça m’embêtait qu’on veuille en quelque sorte me faire opposer l’édition traditionnelle à l’édition indé. Je suis peut-être tombé dans ce travers-là au départ (quoique : je n’en suis pas tellement convaincu non plus), mais je trouve ça de toute façon idiot, fratricide. Il ne faut pas opposer les deux systèmes. Chacun a ses limites et ses inconvénients et ses avantages.

Le principal, c’est que l’auteur, lui, fasse toujours ce qu’il a envie de faire et que par n’importe quel moyen il puisse rencontrer et trouver son lectorat. Alors, si ce sont des gens qui trouvent leur lectorat grâce à l’édition traditionnelle, tant mieux. Mais ce n’est pas la majorité. Voilà ! Moi, si tu veux, c’est le plus gros reproche que j’aurais à faire à l’édition traditionnelle. C’est que c’est quand même pour des happy few. Ce n’est pas un système qui est fait pour que la majorité des auteurs rencontrent leur lectorat. Alors, ce n’est pas volontaire, évidemment ! Un éditeur, c’est aussi quelqu’un… Et là, pour le coup, je peux t’en parler puisque je fais ce métier-là maintenant depuis suffisamment longtemps ! Un éditeur, c’est quelqu’un qui se réjouit quand il vend beaucoup de livres, évidemment. C’est son métier. Mais le système de l’édition traditionnelle, tel qu’il est conçu en tout cas aujourd’hui, n’est pas fait pour la majorité des auteurs. C’est-à-dire ce sont les gros best-sellers, les gros vendeurs, qui s’en sortent. Et les autres, les auteurs lambda, c’est vraiment très très très difficile pour eux de toucher leur lectorat.

Dans l’édition indé, je dirais que c’est le contraire. C’est-à-dire que l’édition indé, pour l’instant, n’attire pas d’auteurs majeurs. Là, je te parle de la France, parce qu’aux États-Unis, en Angleterre, évidemment, qui ont toujours dix ans d’avance sur nous, c’est complètement différent. Dieu sait que je ne les admire pas forcément dans tout, mais il faut au moins reconnaître qu’ils sentent un peu les choses et qu’ils vivent avec leur temps, ces gens-là, par rapport à nous. En France, en tout cas, l’autoédition, pour l’instant, n’attire pas de gros auteurs, de grands auteurs. Et je dirais que ça permet à des auteurs qui passent entre les mailles du filet de l’édition traditionnelle de rencontrer leur lectorat. En ce sens, ça mérite d’être respecté et ça mérite qu’on s’y intéresse.

Cyril. – Toi, tu as travaillé jusqu’à il y a peu de temps pour les Éditions La Bourdonnaye et justement, quand tu étais aux Éditions La Bourdonnaye, tu facilitais ce passage entre les deux univers.

Laurent. – Exactement. Alors, c’est pour ça que j’avais été recruté entre guillemets, sollicité par les Éditions La Bourdonnaye. Mais c’est aussi ce qui a provoqué mon licenciement, entre guillemets, si tu veux. C’est-à-dire qu’au départ, j’ai apporté chez La Bourdonnaye, en deux ans, vingt-cinq auteurs. Pour la plupart issus de l’autoédition. Et donc c’était magnifique.

En tout cas, pendant deux ans, ça avait l’air d’être magnifique pour les responsables de cette maison d’édition, puisque ça a permis de créer et de développer une ligne éditoriale qui est celle qu’elle est aujourd’hui, qui est magnifique. Moi, j’en suis fier. Je crois que les auteurs sont extrêmement fiers de publier là où ils sont et que leurs livres sont absolument superbes.

Mais à un moment donné, cette maison d’édition-là a trouvé que la connotation édition indépendante était trop forte et que ça pourrait nuire à son image en librairie ! Ce qui à mon sens n’est pas vrai du tout. Au contraire ! Je pense que les libraires, comme les éditeurs, sont des gens qui ont besoin de vendre des livres. C’est ce qui les fait vivre. Et que si on peut amener une notoriété, si on peut rassurer un libraire en lui disant : « Regardez, cet auteur-là, c’est quelqu’un qui marchait déjà très bien en autopublication ; c’est quelqu’un qui a déjà derrière lui une communauté de lecteurs en numérique qui va probablement suivre en papier », tout ça, ça crée des synergies, en fait, et moi je crois que l’autopublication et que l’édition numérique, ça peut être un gros gros avantage pour l’édition traditionnelle et l’édition papier. Bon, je ne le fais plus chez La Bourdonnaye, qui a trouvé que finalement, l’idée n’était pas bonne, voire qu’elle était nuisible…

Mais je pense que là, ça va à contresens total de ce que font les éditeurs traditionnels maintenant. Et moi, je peux te jurer que là où je suis… Je travaille pour une maison d’édition du groupe Hachette actuellement, comme éditeur freelance. Eh bien je peux te jurer que les gros éditeurs, Michel Lafon a été le premier, regardent très très scrupuleusement et très méticuleusement ce qui se passe du côté des auteurs indés et qu’ils n’hésitent pas, eux, à contacter les auteurs prometteurs, les auteurs de demain, pour leur proposer des choses. Donc je crois que là, on en est vraiment là actuellement.

C’est-à-dire que contrairement au message qui était véhiculé au départ de la part des auteurs traditionnels, de la part des chroniqueurs professionnels, de la part des libraires, ces professionnels de l’édition ont bien compris que s’ils ne prenaient pas le train en marche, ça allait leur être fatal. Et ils se sont mis à regarder objectivement ce qui se passait du côté des indés. Et ils ont vu évidemment que tout n’est pas bon à prendre. Mais c’est comme dans l’édition traditionnelle, je veux dire : tous les auteurs ou tous les livres ne vont pas toucher forcément tout le monde. Mais en tout cas, ces professionnels de l’édition ont vu que du côté des indés, sur les plateformes de téléchargement, il y avait des choses qui se passaient, il y avait des auteurs en herbe, des auteurs prometteurs ou déjà aguerris, qui étaient passés entre leurs mailles à eux. Tout simplement parce que tu ne peux pas tout lire quand tu reçois cinq mille manuscrits par an. C’est usant. Moi, je l’ai fait pendant deux ans chez La Bourdonnaye. Évidemment, on perd des textes. Évidemment, tu ne peux pas tout faire !

Donc tant mieux que des auteurs qui passent entre les mailles du filet de l’édition traditionnelle puissent se révéler au grand jour et à leur lectorat via les circuits de l’autoédition, quitte à revenir ensuite dans l’édition traditionnelle, pourquoi pas ?

Mais au moins, là où ça déplace le curseur de décision, c’est que c’est l’auteur qui décide. C’est l’auteur qui décide si oui ou non, il va aller signer chez un éditeur traditionnel, qui l’a peut-être laissé filer au départ parce qu’il n’a pas pu lire son manuscrit, ou s’il préfère, lui, continuer à travailler tout seul, en solitaire. Mais ça, ça suppose une énergie et des compétences que tous n’ont pas forcément.

Cyril. – Laurent, je crois que cet entretien va être dans un sens, que je vais te laisser parler, parce que je bois tes paroles.

Laurent. – Je suis désolé !

Cyril. – Non ! Non pas que tu parles beaucoup, mais tu dis des choses qui sont tellement… Voilà, tu dis des choses qui sont à la fois vraies et fines. Donc c’est très plaisant de t’écouter raconter ça, et voir ça en plus avec un œil, comme ça, justement, dedans, mais un petit peu avec du recul.

Laurent. – J’essaye d’être dépassionné. D’être positif !

Cyril. – Je l’ai dit à quelques reprises dans les différents entretiens que j’ai eus précédemment : c’est vrai qu’on a cette petite tendance, qui est d’utiliser l’autoédition sur les plateformes numériques comme une junior league, une classe amateur de l’édition traditionnelle, et qu’on voit des éditeurs qui, tout à coup, non pas se réveillent mais se disent : « Quand même ! Dans les autoédités, autopubliés, indépendants (après, on parlera de la nuance entre les trois) il y a des gens qui sont intéressants, qu’on n’a pas vus jusqu’à présent ; il faut qu’on aille les voir. »

Laurent. – Exactement.

Cyril. – Ça, c’est une chose. Et puis la deuxième chose, c’est que la naissance de l’autoédition, autopublication, et son développement ont permis aux auteurs qui travaillent avec cet outil-là d’accéder à une sorte de majorité par rapport aux éditeurs. Ils sont un peu plus responsables. Ils sont un peu plus indépendants. Mais ça ne veut pas dire qu’ils n’ont pas besoin des éditeurs traditionnels.

Laurent. – Oui, exactement. Alors là, je ne vais peut-être pas me faire des amis, tu vois…

Cyril. – On n’est pas là pour ça !

Laurent. – Parmi mes copains autopubliés, mais j’observe aussi que jusqu’à présent, les éditeurs, lorsqu’ils contactent des auteurs autopubliés, c’est en fonction de leurs chiffres de ventes et en fonction du classement au top 100 d’Amazon. Il faut appeler un chat un chat !

Alors, c’est très bien. Là, chacun fait ce qu’il veut et si tout le monde est gagnant, ce sont des partenariats que je respecte tout à fait. Le danger de cette manœuvre-là, c’est qu’on assimile la qualité entre guillemets (parce que c’est très subjectif) d’un texte et la qualité d’un auteur à son nombre de ventes. Ça, on ne le fait pas dans l’édition traditionnelle ! On a des auteurs qui vendent de manière très confidentielle, mais qu’on considère comme étant de grands auteurs, simplement parce qu’on s’intéresse au contenu de leurs livres, à leur style, aux messages qu’ils ont envie de délivrer, à leur univers… Lorsqu’un éditeur traditionnel… Pour l’instant, c’est encore le cas, mais lorsqu’un éditeur traditionnel contacte un auteur de l’autopublication, c’est avant tout parce qu’il a fait un carton au niveau des ventes.

Le premier exemple… Là, je peux t’en parler : j’étais dedans, j’étais au cœur, j’étais dans l’œil du cyclone ! C’était Agnès Martin-Lugand, avec Les gens heureux lisent et boivent du café. Agnès Martin-Lugand avait envoyé ce manuscrit à des éditeurs, qui l’avaient refusé au départ. Puis elle m’a contacté, parce qu’elle savait que je faisais de l’accompagnement littéraire. Et elle m’a demandé si je voulais être son accompagnateur littéraire sur ce projet. Je l’ai fait. Ça, c’est le travail d’un éditeur, en fait ! Tu sais, quand tu fais de l’édition freelance, tu ne fais ni plus ni moins que ça : accompagner l’auteur, prendre son texte, le retravailler avec lui jusqu’à ce que toi, tu l’estimes prêt. Jusqu’à ce que lui, évidemment, l’estime prêt aussi, qu’il se rende compte que tu l’as amélioré. Donc avec Agnès Martin, on a travaillé pendant un an et demi sur ce texte-là. Qui ne s’appelait pas comme ça au départ. On a refait le titre, on a refait les personnages, on a refait l’histoire quasi en intégralité… On a vraiment retravaillé en totalité ce manuscrit qui faisait au départ… Je me souviens, elle m’avait envoyé le document Word : il devait faire 400 pages, 450 pages. Bref, on est arrivé à un texte de 180 pages. Et donc ce travail-là a permis de faire en sorte que le livre, c’est vrai, dès qu’il a été mis en autopublication, fasse un succès absolu. Je crois qu’Agnès Martin-Lugand avait vendu… Avant que Michel Lafon la contacte, elle avait déjà vendu 20 000 exemplaires, tu vois, en trois semaines, sur Amazon. Quelque chose comme ça.

Et après, et après, et après… Après, les éditeurs se sont engouffrés dans cette brèche-là et ce sont des auteurs autopubliés qui avaient fait d’énormes scores de ventes qui ont été contactés par l’édition traditionnelle. Alors, tant mieux s’il y a adéquation entre ces scores de ventes et la qualité littéraire et ce qu’on peut demander à un auteur et l’exigence d’un texte qu’on attend, ou qu’un certain type de lectorat attend. Ou qu’un éditeur puisse attendre, tant mieux, mais il ne faudrait pas qu’on confonde un petit peu tout, parce que ça, ce serait contre-productif, tu comprends ? Pourquoi je dis ça ? Ce n’est pas que je n’aime pas les livres qui font des gros best-sellers. Au contraire ! Chaque auteur a envie de faire un best-seller…

Mais je ne voudrais pas qu’on assimile la qualité d’un texte ou la qualité d’un auteur à son nombre de ventes. Parce que ça veut dire que le jour où cet auteur-là, peut-être, décevra un grand éditeur parce qu’il sera passé de 300 000 exemplaires à 150 000, il sera viré comme une vieille chaussette par cet éditeur. Et le message qu’on envoie là au lecteur, c’est de dire : « J’ai misé sur cet auteur, je n’y crois plus, et comme c’est un toquard, je le renvoie ».

Et alors ça, ça, pour le coup, ce serait dramatique. Alors, il y a juste un contre-exemple que je viens de voir. D’une jeune auteure avec laquelle j’ai travaillé aussi. Je me permets d’en parler parce que je lui ai demandé, évidemment, si je pouvais dire son nom ; elle m’a dit oui : c’est Louisiane Dor, qui a fait un merveilleux roman qui s’appelle Les méduses ont-elle sommeil ? Je ne suis pas sûr qu’elle ait fait les scores de ventes des livres dont on parlait avant, mais en revanche elle s’est fait repérer par un très grand éditeur et son livre va paraître, donc, chez cet éditeur-là en 2016.

Ça, ça me semble être un travail très intéressant et j’encourage vraiment les éditeurs à aller dans cette voie-là. Si un jour j’ai à nouveau un rôle décisionnaire dans une maison d’édition, je crois que c’est dans cette voie-là que j’irai. C’est-à-dire que si on peut à la fois vendre beaucoup de livres avec des auteurs un peu plus exigeants et avec des textes un peu plus exigeants, moi, j’en serai ravi ! Je rêverais que demain Solène Bakowski (je sais que c’est arrivé avec son roman Un sac) soit contactée par un grand éditeur : ça, c’est arrivé ! Mais concrétise, si elle le souhaite, si c’est son but, par un contrat d’édition. Ce qui ne lui est pas encore arrivé. Là, je pense que l’édition traditionnelle a encore un pas en avant à faire. Voilà.

Cyril. – D’accord. Pour le moment, c’est beaucoup basé sur les chiffres de ventes et pas trop sur la qualité globale du livre. Ça évolue doucement. Comment est-ce que les éditeurs peuvent savoir, se rendre compte qu’un auteur qui s’est autoédité, ce serait bien de travailler avec lui en plus de regarder les chiffres de ventes ? Est-ce que c’est les commentaires ? Est-ce que c’est… De ton point de vue d’éditeur ?

Laurent. – Il y a ton ressenti à toi en tant qu’éditeur. Le premier travail d’un éditeur, c’est de lire le texte.

Cyril. – Le problème, c’est que tu as déjà des dizaines de livres à lire qui t’arrivent chaque jour, en tant qu’éditeur. Non ?

Laurent. – Oui, bien sûr. Je pense qu’il faut recruter. Tant mieux, ça va créer de l’emploi ! Si avec le nombre de salariés que tu as dans ta maison d’édition, tu n’as pas le temps de le faire, il faut recruter en externe. Il faut prendre des éditeurs freelances. Moi, je suis là ; il y en a d’autres ! Ou dévier, pourquoi pas ?

C’est aussi une idée que je propose aux éditeurs traditionnels que je rencontre : pourquoi pas ouvrir un département, une collection, d’auteurs issus du courant indé et recruter un directeur de collection à la tête de ce service-là, qui lui, passerait sa journée à faire de la veille sur les plateformes de téléchargement et à regarder ce qui se passe un petit peu. Moi, tu sais, parmi les vingt-cinq auteurs que j’ai amenés chez La Bourdonnaye en deux ans, il y a peut-être 90 % d’auteurs que j’ai repérés comme ça. Je passais mes journées sur Internet, à regarder ce qui se passait, à lire des extraits ou des textes que ces auteurs mettaient à disposition des lecteurs, et c’est comme ça que j’ai fait mes choix, en fait. Je ne regardais pas forcément le nombre de ventes, je ne regardais pas forcément… Alors, les commentaires… Après, c’est difficile, parce que tu sais, c’est quand même significatif à partir d’un certain nombre de commentaires. On sait bien que quand tu as cinq à dix commentaires, ce sont les copains et la famille qui te les mettent. Donc voilà, ce n’est pas non plus forcément significatif.

Mais pour en revenir à ce qu’on disait tout à l’heure, je ne critique pas les textes qui ont été signés chez de grands éditeurs ! Tu sais, ce sont mes copains et mes copines, ces auteurs issus du courant indé qui sont maintenant chez de grands éditeurs. Donc je ne vais pas dire qu’ils écrivent mal ! Mais ce que je dis, c’est que je mets en garde les grands éditeurs.

Cyril. – Oui, d’aller chercher uniquement la poule aux œufs d’or…

Laurent. – Mais même pour ces auteurs-là, ça peut être dramatique. Parce que le jour où ils vendront moins, ils se feront virer comme des chiens ! Ça, il faut aussi avoir ça en tête ! C’est super dur, ensuite, à vivre.

Cyril. – Alors, on va revenir un petit peu sur ton travail d’auteur. Tu as commencé par des romans qui étaient complètement séparés les uns des autres et au moment où tu es rentré à La Bourdonnaye, tu t’es mis au feuilletonnant. Est-ce que c’est à ce moment-là ou est-ce que c’est un petit peu avant ?

Laurent. – Non, c’est à ce moment-là. C’était vraiment une création pour les Éditions La Bourdonnaye. En fait, les Éditions La Bourdonnaye m’avaient contacté au cours d’une soirée qui remettait le prix du livre numérique. C’était la première édition de ce prix-là.

Cyril. – Le premier vrai prix du livre numérique, qui n’est pas celui de l’autoédition Amazon 2015.

Laurent. – Non, non, c’est ça. Du tout, du tout. Et la maison d’édition m’avait dit : « Écoutez, c’est formidable, on voit que vous êtes… » Mais tu vois, c’était toujours pour les mêmes raisons : « On voit que vous êtes en tête des ventes avec Écran total depuis longtemps ; est-ce que vous ne voudriez pas écrire pour nous au départ, machin, truc, faire un texte, un roman, ce que vous voulez ». Et à l’époque, cette maison d’édition-là était pure player, donc numérique only. Et je m’étais dit : il va falloir, si j’accepte… Alors, au début, j’avais dit non parce que j’étais vraiment blindé, et puis du coup, comme j’avais fait des succès et que j’étais de nouveau en contact avec l’édition traditionnelle, j’avais des manuscrits à rendre pour l’édition traditionnelle. Donc je n’avais pas forcément le temps d’écrire pour La Bourdonnaye.

Et je me suis dit : en plus, numérique only, il faut quand même vraiment faire le texte adapté à ce support de lecture, tu vois. Bon, je n’avais pas le temps de réfléchir, donc je n’avais pas relancé. Le directeur de la maison d’édition, lui, m’a relancé plein de fois. Et puis un jour, j’en ai eu marre. J’ai dit : OK, je vais réfléchir à un projet et je vous rappelle et je vous dis ça. Et je me suis dit : quel est le propre de la lecture en numérique ? C’est qu’on peut, peut-être, lorsqu’on lit sur un téléphone ou sur une liseuse, voire une tablette, on peut lire en mobilité. Et donc je m’étais dit : il va falloir que tu inventes, mon petit père, une forme de récit que les lecteurs vont pouvoir lire en mobilité, sur leur téléphone, sur leur liseuse, etc. et le temps de trajet moyen, si tu veux, quand on est dans les transports en commun, c’est vingt minutes. Donc je m’étais dit : en plus, la contrainte, c’est qu’il va falloir faire des récits courts, que les gens pourront lire en quinze, vingt minutes, mais qui tiendront la route quand même. Le format de la nouvelle, quinze, vingt minutes, ça ne me plaisait pas trop. Et puis ça restait des choses très très disparates, quand même.

Et comme je suis un grand amateur de séries télé, je me suis dit : on va associer les deux. On va faire des séries littéraires, qui sont gaulées comme des séries télé. Et donc j’étais parti à relancer la mode du feuilleton, des grands feuilletonistes du xixe siècle qu’on a eus en France.

Cyril. – C’est à peu près le seul moment où les auteurs ont eu vraiment beaucoup de liberté dans la production et ont créé beaucoup de choses.

Laurent. – Exactement ! Et je trouve que la contrainte, en fait, développe la créativité à un point qu’on n’imagine pas ! Et je milite vraiment pour ça. C’est-à-dire que c’est aussi ce que j’enseigne aux auteurs qui me sollicitent comme accompagnateur. Je leur dis : construisez d’abord. Vous verrez, ça vous paraît chiant au départ de construire votre histoire, parce qu’en France, il y a cette légende qui prétend que l’auteur, il est touché par l’inspiration divine, il se met devant sa feuille blanche, avec son encrier, sa plume, et que Dieu lui parle et qu’il pond mille pages. Non, ce n’est pas vrai ! Une histoire, ça se construit. Il y a des schémas, il y a des choses extrêmement rigoureuses à faire.

Ça paraît chiant comme ça, parce que ce n’est pas dans la culture française, mais plus on a de contraintes formelles, plus l’imagination prend le relais ensuite, et c’est là qu’on produit les meilleures choses. Voilà. Et donc avec cette collection de séries littéraires, Pulp, c’était le cas. Et ça a produit… Là, je crois qu’on en est actuellement… Enfin, je dis « on » ; je ne suis plus dans cette aventure, mais ils en sont actuellement à une dizaine de séries littéraires, et qui sont toutes plus inventives que les autres. Et là, franchement, je crois qu’il y a un énorme plaisir de lecture et un énorme plaisir d’écriture.

Cyril. – Ce sont des séries qui se construisent avec des saisons et avec des épisodes à l’intérieur des saisons. Et vraiment comme une série télévision.

Laurent. – Exactement. C’est calé comme une série télé. C’est-à-dire que chaque série doit contenir au moins, idéalement, trois saisons. Chaque saison contient six épisodes. Et chaque épisode doit tenir en 4 000 à 5 000 mots, ce qui correspond à un temps de lecture de quinze à vingt minutes. Et évidemment, tant qu’à faire, chaque épisode doit se terminer par un cliffhanger et le dernier épisode de chaque saison doit se terminer par un super cliffhanger, pour que le lecteur, tout simplement, ait envie d’aller lire la saison suivante.

Donc c’est vraiment le principe de la série télé à l’anglo-saxonne, comme peuvent produire Showtime, HBO… Et avec, si tu veux, quand même, cette exigence littéraire qu’avaient nos feuilletonistes français du xixe siècle. Et ça, c’est ce que j’ai essayé de faire dans cette collection Pulp. Et je crois que ce n’est pas trop mal réussi, d’après ce qu’en disent les blogueurs et les lecteurs qui nous parlent directement, via tous les réseaux sociaux.

Cyril. – Moi, pour en avoir discuté avec un des auteurs qui étaient dans cette collection, Chris Simon, en tout cas en tant qu’auteur, elle était très très très très très contente de faire ça.

Laurent. – Oui, ça ne m’étonne pas du tout, parce que Chris est scénariste de formation. Et c’est vraiment… Si tu veux, ces livres-là sont construits vraiment comme on construirait un scénario. C’est-à-dire que de toute façon, moi, j’avais fourni une bible extrêmement rigoureuse à tous les auteurs. Et c’est vrai que c’est une technique ! Il faut quand même être un auteur un peu aguerri, un peu confirmé, pour se plier à l’exercice. Parce que ce n’est pas évident évident. C’est une gymnastique.

Mais a contrario je suis persuadé que ça peut permettre à des auteurs encore méconnus d’émerger complètement, d’exploser, et de proposer ensuite s’ils le veulent, une fois que leur lectorat est en construction, une fois qu’il est acquis, de proposer des romans, des œuvres un peu plus soutenues, un peu plus étendues, un peu plus étoffées.

Et je pense que comme au xixe siècle, ça a permis aux plus grands auteurs de la littérature française d’émerger, je crois que cette forme d’écriture-là peut permettre à des auteurs encore méconnus aujourd’hui de construire leur lectorat et de proposer ensuite des choses un peu plus étoffées. Ça peut être un excellent tremplin. Et puis, pour l’adaptation audiovisuelle…

Cyril. – Oui, ça facilite beaucoup les choses.

Laurent. – C’est un bon marché pour les producteurs. Là, pour le coup…

Cyril. – Il faut peut-être dire que de notre point de vue la télévision, bien sûr produit des choses horribles, mais les séries américaines et quelques séries françaises produisent aussi de très très bonnes choses, et que c’est en ce sens qu’on va chercher des méthodes, des recettes, de l’inspiration dans ce secteur-là. Des séries comme Sur écoute en français (The Wire), c’est un grand travail d’écriture, d’abord, avant d’être un grand travail de scénarisation et de mise en images. Et c’est comme ça, c’est pour ces raisons que s’inspirer de la télévision et des bons aspects de la télévision, c’est une bonne chose. Je vois que toi, tu pars aussi un peu plus dans la scénarisation. Là, tu vas faire une master class ?

Laurent. – C’est ça. Alors, j’ai travaillé… D’abord, je suis un cinéphile. J’ai une énorme culture cinéphilique et télévisuelle. Je suis vraiment un enfant de la télé et du cinéma. J’aime ça. J’ai dévoré du film et de la série. Alors, un petit peu moins maintenant parce que j’ai un petit peu moins de temps, mais j’essaye quand même.

Cyril. – Tu te fais des week-ends complets en binge watching !

Laurent. – Comme j’ai la grande chance de pouvoir travailler de chez moi, de temps en temps, quand je me fais une récré, je me fais un épisode comme ça, sur Internet, et j’essaye de me tenir toujours au courant de l’actualité télévisuelle parce que… Voilà, je trouve que c’est là qu’il se passe les plus belles choses actuellement. Ça a dépassé le cinéma et vraiment, c’est quelque chose que j’aimerais faire. Pendant deux ans, j’ai été scénariste pour une société de production française et j’ai, d’après ce que me disent les lecteurs, une écriture très visuelle, très cinématographique, et les lecteurs me disent que lorsqu’ils lisent mes romans, ils se projettent le film en même temps.

Et là, effectivement, j’ai une chance extraordinaire. Il y a le plus grand script doctor actuel américain, qui s’appelle John Truby… Il fait absolument toutes les séries qui cartonnent aux États-Unis, sur HBO, Showtime, etc. Enfin, il est absolument dans toutes les grandes majors. Il participe aussi à l’écriture de tous les grands films anglo-saxons, de tous les bons films qui font d’énormes succès aussi. Et il s’appelle John Truby ; il vient faire une master class à Paris pendant trois jours à partir de demain sur l’écriture de la série télé. J’y participe, donc je suis comme un gosse, en fait ! Et fin janvier, il revient pour une semaine entière, sur l’écriture fictionnelle cette fois-ci, et l’écriture cinématographique, et j’y participe également, donc c’est juste Noël avant l’heure pour moi, parce qu’évidemment, il faut absolument maîtriser toutes les techniques de l’écriture de fiction si tu veux faire des choses qui se tiennent.

Que ce soit sur des one shot, que ce soit sur des séries, que ce soit… Il faut qu’on arrive à comprendre en France que l’écriture, c’est un métier. Qu’on ne peut pas écrire un livre en partant de rien. Les auteurs qui disent ça, ce n’est pas vrai, ce sont des menteurs ! Parce qu’ils trouvent que ça fait bien de dire qu’ils partent… J’en entends dire : « Moi, je pars d’une phrase »…

Cyril. – Oui, ce sont des dieux vivants.

Laurent. – Exactement. Ce sont des espèces de demi-dieux, de semi-dieux, ou alors plus probablement, inconsciemment, ils écrivent leur scénario ou leur structure dans leur tête. Ça, tu peux le faire quand tu as un peu de recul. C’est-à-dire que moi, maintenant… Je te disais tout à l’heure : j’en suis à mon dixième roman. Je n’écris plus forcément tout tout tout tout noir sur blanc comme je l’enseigne aux auteurs qui viennent me voir pour un accompagnement. Parce que ce travail-là, je le fais de toute manière tellement en amont dans ma tête que je n’écris jamais la moindre ligne d’un de mes romans sans avoir le scénario complet, sans avoir le séquencier complet soit sur papier, soit dans ma tête, au préalable. Mais ça s’apprend, évidemment.

Cyril. – Caractérisation, transformation, etc. Toutes ces choses-là sont des choses que tu maîtrises inconsciemment.

Laurent. – Oui, complètement. Et ce sont des basiques. Il faut en passer par là pour ne pas être gêné. Pour ne pas avoir l’angoisse de la page blanche, qui, paradoxalement, freine ton imagination. C’est quand tu ne construis rien, c’est quand tu es hors d’un cadre structuré que tu ne sais pas où tu vas aller. Et ça, il n’y a rien de pire pour l’écriture et pour la créativité. Le nombre d’auteurs qui m’appellent, qui me disent : « Voilà, j’ai cinquante pages et je ne sais plus où je vais, je ne sais plus comment faire ». Je leur dis : est-ce que vous avez un scénario ? Non.

Mais ça, c’est systématique ! Parce que c’est obligé. À partir du moment où tu as scénarisé toute ton histoire et où tu as ton séquencier, avec la justification de chacune de tes scènes, tu sais forcément ce que tu vas écrire. Tu ne risques pas de sécher, tu ne risques pas d’être blanc devant ta page et donc le problème que tu as, en réalité, après, c’est de faire court. Mais tant mieux ! C’est un problème de riche ! Tu peux laisser vagabonder tellement facilement ton imagination après, à l’intérieur de ce cadre extrêmement rigide, que la vraie difficulté, c’est de rester canalisé sur ce que tu voulais dire au départ. Mais tant mieux, je veux dire ! Si tu as plus de choses à dire, eh bien fais deux livres, trois livres, quatre livres. Au contraire ! Mais il faut au départ, et ça, j’en suis convaincu, pour que tu saches quoi écrire et que tu ne sois jamais torturé par l’angoisse de la page blanche, il faut qu’au départ tu aies absolument construit tout de A à Z dans ton histoire.

Cyril. – Donc c’est très important de se professionnaliser et d’apprendre son métier, parce qu’écrire des romans qui soient des romans séparés les uns des autres ou qui soient feuilletonnant, c’est un vrai métier, qui s’apprend comme on apprend à dessiner, comme on apprend à faire des maisons ou des bâtiments, comme on apprend à, comme on apprend à ! Ou comme on apprend à faire de la musique, aussi.

Laurent. – C’est vrai pour tous les arts, tu as raison. C’est vrai des beaux-arts, c’est vrai de la musique. Il y a des conservatoires de musique, donc on apprend à faire de la musique. On apprend à composer de la musique. On apprend à faire de la peinture, de la sculpture, de l’architecture, on apprend à faire des films… Je ne vois pas pourquoi on n’apprendrait pas à écrire, tu vois ? Ce n’est pas un art différent des autres. On n’est pas au-dessus de la mêlée. On n’est pas des demi-dieux quand on est des auteurs !

Effectivement, tu as raison, il faut revenir à un peu plus d’humilité. Revenir les pieds sur terre et considérer que oui, l’écriture, ça s’apprend, ça s’enseigne, c’est un métier comme un autre. Alors, forcément, tu vois, ça fait moins sexy de dire ça que de dire : ah oui, moi, je me suis levé un matin, j’ai regardé l’écureuil dans mon marronnier et pan, j’ai fait Guerre et Paix. Oui, bof, je n’y crois pas une minute ! Je ne crois pas. Ce n’est pas comme ça que ça se passe ! Hélas !

Cyril. – On va revenir, avant de finir, sur l’autoédition, l’autopublication, l’édition en indépendant. Je ne sais jamais lequel des trois prendre. Je préfère indé. Est-ce que tu vois des dangers pour des auteurs indépendants ou des éditeurs indépendants, qui sont à venir dans les (pourquoi pas un petit peu d’actualité) dans les mois ou dans les années qui viennent ? Est-ce qu’il y a des choses dont il faut se méfier ?

Laurent. – Des dangers, je ne crois pas. Le seul danger, tu sais, pour moi (alors, je vais encore me faire huer…) c’est l’amateurisme. Alors, je n’ai rien contre, mais simplement, je n’aime pas tellement l’amateurisme.

Alors libre à ceux qui veulent en faire d’en faire, si tu veux, mais un auteur qui veut vraiment rencontrer un lectorat, puis essayer de pérenniser une sorte de relation entre son lectorat et lui, un auteur qui veut produire une œuvre, en fait, et qui croirait que parce qu’il est indé il peut faire du bricolage et peut présenter des livres sans réelle couverture, truffés de fautes d’orthographe, mal construits comme on disait, qui ne donnent pas envie d’aller au bout… Ça, pour moi, c’est le principal écueil.

Le danger, pour des auteurs indés, dans les mois à venir, ce serait de ne pas se professionnaliser. Mais je crois qu’on assiste au contraire. C’est-à-dire que… Tu sais, moi, quand j’ai démarré, début 2012, je m’étais dit : je vais créer un label. Parce que c’est le seul moyen, d’abord pour fédérer d’autres auteurs autour de moi et autour de ce mouvement de l’indépendance, et c’est ça qui nous fera grandir ensemble. Il faut, à un moment donné, un fédérateur.

Tu vois, dans le cinéma, par exemple, Robert Redford, qui pourtant est issu des grandes majors et du cinéma traditionnel, il a créé ce festival de Sundance du film indépendant, du cinéma indépendant, et c’est ce qui produit à mon sens aujourd’hui les meilleurs films au monde. Et le plus beau cinéma qu’on puisse voir aujourd’hui. Tous les grands films, à mon avis, qui comptent, tous les grands films majeurs sont issus du festival de Sundance. Dans la musique, le meilleur son vient de tous les labels indés qui se sont créés ces dernières années. Je pense qu’il faut l’équivalent de ça dans le courant indé littéraire.

Alors moi, je n’ai pas eu le temps de le faire début 2012 parce que j’ai été rattrapé, comme je te le disais, par l’édition tradi, et puis après je n’ai plus eu le temps. Audrey Alwett le fait, avec son label Bad Wolf axé en fantasy et thriller. Elle a monté un label. Alors, elle, Audrey, c’est pareil, elle vient de l’édition traditionnelle, de la BD traditionnelle. Elle a monté son label indé Bad Wolf, qui a aujourd’hui actuellement trois romans au compteur, déjà. Donc ce n’est pas rien. Elle vient de monter le label, je crois, cet été : juillet, quelque chose comme ça. Et je crois… Alors, si j’ai le temps de le faire, moi, maintenant, comme j’ai un petit peu de temps devant moi, je t’avouerai que l’idée me trotte dans la tête, je pense que l’heure est pour les indés à s’unir. Alors, on pourrait se dire qu’être indépendant, c’est peut-être antinomique de s’unir. Mais non, justement.

Cyril. – Mais non, justement ! C’est la possibilité de faire beaucoup plus de rencontres, aussi.

Laurent. – Voilà, exactement ! C’est dans l’union qu’est la force, de toute manière. Et puis je rêve de créer un réel courant artistique, comme il y avait avant, tu sais. On peut encore récemment parler de la beat generation. Les mecs se parlaient entre eux. C’était aussi trans-disciplines. C’est-à-dire que les auteurs rencontraient des sculpteurs, des peintres, des comédiens, des réalisateurs… Il y avait une sorte d’échange d’idées, de courant artistique, qu’il faudrait à mon sens recréer. Et ça, ça donnerait la main et le pouvoir, entre guillemets, aux artistes. C’est-à-dire qu’on ne dépendrait plus forcément des majors avec lesquelles on travaille. On en dépendrait un petit peu si on finit par signer chez elle, si on finit par établir des synergies avec, mais rien que le fait de se fédérer, de se réunir entre artistes, entre auteurs, pour créer un réel courant artistique, un réel courant de pensée pourquoi pas, ça créerait à mon avis des belles choses et je pense que l’avenir est à ça.

Et le danger, pour les auteurs indés qui arriveraient dans les mois, là, maintenant, à venir, ce serait de ne pas faire ça. Ce serait de ne pas se fédérer, ce serait de continuer à agir en franc-tireur. Parce que ça, je pense que ça va conduire à la mort du courant indé, avant qu’il soit réellement né.

Cyril. – C’est un appel au rassemblement. Je pense qu’on peut finir là-dessus.

Laurent. – Ça ne me paraît pas mal comme programme !

Cyril. – Je rappelle quand même que tu étais quand même aussi impliqué pendant le salon du livre 2015 dans le mouvement : Pas d’auteurs, pas de livres.

Laurent. – Exactement. Oui, parce que tu vois, on parlait tout à l’heure des limites de l’édition traditionnelle. Eh bien, l’une des principales, c’est celle-ci. C’est-à-dire que quand un auteur ne touche que 8 % du prix hors taxes du livre qu’il a créé et qui donc va générer tout le business du livre autour, c’est quand même juste un petit peu dur. Voilà. C’est un petit peu dur. Alors, je ne critique pas après les autres corporations. Je comprends qu’un libraire doive vivre aussi. Mais tu vois, lui, par exemple, un éditeur lui fait classiquement 40 % de remise. Le diffuseur, lui, il touche 20 %. Tu vois, tout le monde, finalement, a plus que le créateur de l’œuvre !

Ça, quelque part, philosophiquement, ça me gêne. Donc j’ai participé à cette manifestation. Parce que c’est dur. C’est dur dur dur pour un auteur de ne toucher que 8 % du prix hors taxes de son livre. Alors je sais bien que les éditeurs ont des structures, des employés à payer, des… Voilà, tout ça coûte de l’argent. Mais voilà, il faut réfléchir… Il faut peut-être réfléchir à un nouveau système qui serait plus équitable pour tout le monde, surtout pour l’auteur.

Cyril. – Bon. Merci beaucoup, Laurent. Est-ce que tu as une actualité, une sortie, en ce moment, ou tu es uniquement dans l’écriture et dans l’édition ?

Laurent. – Alors, je suis uniquement dans l’écriture pour l’instant. Je dois remettre… Ma mésaventure avec La Bourdonnaye m’a fait prendre beaucoup de retard dans la remise du manuscrit pour Hachette, pour Marabooks. Je devais remettre mon manuscrit fin octobre ; il y a du retard, donc je vais remettre mon manuscrit en fin d’année ou début 2016 pour une parution du coup maintenant courant 2016. Alors, je ne sais pas si ce sera au cours du premier semestre ou au cours du second semestre, mais voilà, je me consacre pour l’instant à la finalisation de ce manuscrit. Qui est bien parti : j’en suis déjà à 200 pages, tu vois, donc voilà, il n’est pas… Je n’ai pas rien, mais je me consacre dans un premier temps à l’écriture de celui-ci puis à sa parution.

Et puis, bien sûr, en attendant, je continue de porter des textes en avant. Je continue à faire mon métier d’éditeur. En freelance pour l’instant, pour le groupe Hachette.

Cyril. – Tu continues l’accompagnement littéraire aussi ? C’est-à-dire un peu plus détaché d’un éditeur ?

Laurent. – Complètement. Je continue l’accompagnement littéraire. C’est-à-dire que tous les auteurs sont les bienvenus. Tous les gens qui ont besoin d’un accompagnement, quel qu’il soit, d’ailleurs. Tu sais, j’avais plusieurs niveaux de prestations. Ça peut être l’accompagnement complet, comme j’ai fait avec Agnès Martin. Ça peut être juste l’expertise de manuscrit, comme j’ai fait avec Louisiane Dor. Ça peut être la correction de texte. Enfin, vraiment tout tout tout tout tout ! Donc j’ai un site pour ça. Un site d’accompagnement littéraire.

Cyril. – Oui, je renverrai les gens vers tes différents sites.

Laurent. – Donc c’est Laurent Bettoni accompagnement littéraire, tout simplement. Et voilà, j’accueille tout le monde avec plaisir !

Cyril. – Bon. Eh bien, écoute, merci pour ton accueil. Merci pour cet entretien.

Laurent. – Merci à toi. Je suis désolé d’avoir été aussi long.

Cyril. – Non, tu n’as pas été long ! Là, on est à, je ne sais pas, 38 minutes. Si je ne me restreignais pas, on pourrait partir sur une heure et demie de podcast.

Laurent. – C’est ça !

Cyril. – Écoute, merci, et puis j’espère à bientôt.

Laurent. – Merci. À très bientôt.