Exclusivité en autoédition : quand le pire arrive

 

Il s’est produit quelques événements, relativement anodins, ces dernières semaines ou mois qui pris chacun isolément ne portent pas à conséquence, mais pris ensemble me font répéter encore une fois : une exclusivité avec un distributeur, quelqu’il soit, est mauvaise à long terme pour les auteurs autoédités.

Compte fermé

Evidemment, KDP est le premier visé, car c’est le programme KDP Select qui met en avant l’exclusivité de diffusion contre des avantages pour les auteurs. Et c’est le seul programme du type à ma connaissance.

Néanmoins, dans les faits, les auteurs eux-même ont tendance à pratiquer cette exclusivité. Qui en ne publiant que sur iBooks, qui en vente directe, ou qu’en circuit spécifique.

Auteur indé != Auteur autoédité

Si vous ne connaissez pas ce signe !=, c’est celui qui est utilisé en développement de logiciels pour dire “non égal”. Car il faut le dire : de nombreux auteurs qui s’autoéditent, et parmi eux tous les auteurs qui ne sont que sur KDP Select, sont des auteurs dépendants. Dépendants d’Amazon Kindle. Dépendants de leur mode de commercialisation.

Ne croyez pas que je vais encore adopter un ton anti-Amazon : je suis bien trop réaliste pour cela. L’intérêt des auteurs qui démarrent est d’être dans KDP Select, et Amazon Kindle les récompense pour cette exclusivité en ventes et revenus supplémentaires.

Mais ils ne sont pas indépendants, c’est clair. S’ils le croient, ils se fourrent le doigt dans l’œil, se voilent la face, se bouchent les oreilles. Ils sont dépendants d’Amazon. Et quand Amazon déconne…

Les faits

Il y a eu la chasse aux abuseurs de Kindle Unlimited, avec dans cette chasse l’imbroglio sur les tables des matières. Principalement aux États-Unis, des auteurs ont vu des livres retirés de la vente, voire leurs comptes suspendus parce qu’ils avaient mis leurs tables des matières à la fin de leurs livres.

Comme une génération d’arnaqueurs avait utilisé cette astuce pour gonfler leurs chiffres de lectures de pages KENPC, Amazon a utilisé un mode logique qu’un enfant de sixième détecte : le sophisme.

« Les arnaqueurs mettent leurs tables des matières à la fin, donc les auteurs qui mettent leurs tables des matières à la fin sont des arnaqueurs. »

Euh, non !

Il leur a fallu du temps pour réparer leur erreur, et pendant ce temps, c’était des lecteurs qui ne trouvaient pas les livres, des classements qui s’éteignaient, des livres qui n’étaient plus visibles.

L'exemple allemand

Tolino, en Allemagne, a décidé unilatéralement de modifier la répartition des rémunérations (en) entre eux et les auteurs ou éditeurs. Certes, celle-ci était plus généreuse que certains, puisqu’ils accordaient 70% de redevances pour un livre en dessous de 2,99€. C’est plus qu’Amazon ou Kobo. C’est la même chose qu’Apple.

Par ailleurs, ils ont aussi décidé de modifier la TVA appliquée aux ebooks, pour la passer d’un taux réduit (7%) au taux normal (19%). Comme en Allemagne, la position fiscale de l’état est que les ebooks doivent être taxés à 19%, cette modification est tout à fait normale.

Il n’empêche : ils sont revenus sur le contrat et les conditions qu’ils avaient avec les acteurs qui distribuent par eux.

La chasse aux affiliés

Cela concerne moins directement les auteurs, mais cela concerne des outils qu’ils utilisent fréquemment dans les pays anglo saxons : Amazon a commencé à faire la chasse aux services qui font de la promotion par email des livres et à fermer leurs comptes affiliés.

Les termes du contrat d’affiliation sont clairs : mettre un lien affilié Amazon dans un email est contraire aux conditions de participation. Il n’empêche que c’est quelque chose sur lequel Amazon a fermé les yeux pendant de nombreuses années, tout en intervenant sur d’autres clauses qui touchaient les mêmes outils. Et je m’émeus de la réponse d’un représentant Amazon pendant le Salon du Livre à ma question sur ce type de lien : « oui, vous pouvez tout à fait le faire, et d’ailleurs nous le recommandons ».

NON ! OUI ! NON !

Si Amazon n’est pas capable d’avoir une position claire et de faire respecter les règles qu’il impose, voire dit exactement le contraire de ce qui est écrit dans ses contrats, comment peut-on leur faire confiance ?

Par mesure de prudence, je ne mets donc de lien vers Amazon en affiliation que directement sur la page de présentation des livres sur ebookgang. Cela implique une étape de plus pour les abonnés, cela signifie de la perte de clics, donc moins de ventes pour Amazon, et moins de centimes pour moi. Tant pis. Il vaut mieux une petite part des commissions d’affiliation que pas de commission du tout.

Je signale par ailleurs à ceux qui font aujourd’hui des publicités pour leurs livres en mettant un lien d’affiliation Amazon que c’est aussi en rupture des conditions du programme d’affiliation. Quelques rares personnes ont vu leurs comptes affiliés suspendus, Amazon pourrait tout à fait faire le ménage chez eux de manière soudaine un jour (pour l’instant ils ferment les yeux à la Tartuffe).

Les fermetures et retraits inopinés et aléatoires

Toujours aux États Unis, une autrice vient encore de se faire fermer son compte. En anglais, cela donne :

"We are reaching out to you because we have detected that borrows for your books are originating from systematically generated accounts. While we support the legitimate efforts of our publishers to promote their books, attempting to manipulate the Kindle platform and/or Kindle programs is not permitted. As a result of the irregular borrow activity, we have removed your books from the KDP store and are terminating your KDP account and your KDP Agreement effective immediately. As part of the termination process, we will close your KDP account(s) and remove the books you have uploaded through KDP from the Kindle Store. We will issue a negative adjustment to any outstanding royalty payments. Additionally, as per our Terms and Conditions, you are not permitted to open new KDP accounts and will not receive future royalty payments from additional accounts created."

Je ne sais pas si la position d’Amazon est justifiée, et je n’ai pas trouvé la source de ce mail, aussi je vous invite à traiter cette information avec circonspection. Mais elle reflète l’attitude d’Amazon, similaire à celle de Google dans certains cas (Adwords ?), et qu’ils ont héritée des policiers du LAPD ou de Bernard Cazeneuve : tirer d’abord, discuter ensuite.

Pour ceux qui lisent mal l’anglais :

  • votre compte est fermé
  • vous ne pouvez plus rouvrir de compte
  • nous n'allons pas vous verser les redevances que nous vous devons.

Des événements isolés, une conclusion commune

Pour chacune de ces situations, bien évidemment, le dommage est terrible. Parfois (souvent ?), la décision du diffuseur/vendeur est amplement justifiée. Mais quand elle ne l’est pas, qu’est-ce qu’elle est amère et destructrice. Des comptes auteurs suspendus, des ebooks qui disparaissent de la boutique, des redevances qui baissent, voire qui s’envolent en fumée.

En parlant de baisse, la baisse régulière des rémunérations à la page de l’abonnement Kindle est pour moi comme la manière habituelle de cuire les grenouilles : commencez à l’eau froide et augmentez doucement la température. Le modèle de la lecture au forfait est périlleux, et la rémunération des créateurs toujours plus basse (demandez aux artistes musicaux ce qu’ils pensent du streaming Spotify ou Deezer).

Scribd a aussi viré tout un tas d’auteurs de son catalogue un certain jour de 2015, des auteurs qui avaient misé sur Scribd pour trouver des lecteurs et gagner des ronds. Et Oyster a fermé boutique du jour au lendemain.

À chaque fois, les gens qui mettent leur œufs dans le même panier se retrouvent le bec dans l’eau. Leur redevances acquises sont bloquées, c’est à dire que les 60 jours précédant cette fermeture ne leurs sont pas versés, et comme ils étaient exclusivement sur une plateforme ou une autre, ils doivent recommencer leur travail de conquête d’un lectorat à zéro.

Pour être véritablement auteur indé, il faut multiplier les distributeurs et améliorer l’équilibre entre tous ceux-la.